« Faut qu’on parle » : le doc Canal+ qui brise (enfin !) le tabou de l’homosexualité dans le sport

Faut qu'on parle, le documentaire choc de Canal+

En ce « mois des fiertés », Canal+ dévoile une programmation spéciale Happy Pride. Outre la diffusion de films tels que La Vie d’Adèle et 120 battements par minute sur la chaîne digitale HELLO, c’est un documentaire réalisé par Arnaud Bonnin et Lyes Houhou qui pourrait beaucoup faire parler. Son titre, justement : Faut qu’on parle. Son sujet : l’homosexualité dans le sport… Première diffusion le 19 juin 2021 à 23h.

Quand 6 champions dévoilent leur homosexualité…

Des homos dans le sport ? Jamais de la vie ! Vous avez déjà vu un Ballon d’Or sortir avec un autre mec de son équipe ? Ou une star de la NBA se balader main dans la main avec un beau barbu ? Un tennisman galocher son boyfriend dans les allées de Roland Garros ? Non, vous ne l’avez jamais vu, car ça n’existe pas. Enfin, c’est ce que l’on pourrait être tenté de croire lorsque l’on évoque le sujet de l’homosexualité dans le sport. Car, même en 2021, il faut une sacrée dose de courage pour faire son coming-out lorsque l’on est un athlète de haut niveau (ou moins haut, d’ailleurs).

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Pour une Amélie Mauresmo, une Megan Rapinoe, un Guillaume Cizeron ou un Ian Thorpe, combien de sportifs ont fait le choix de garder le silence, voire de mentir, sur leur vie amoureuse ? Et parmi ceux qui ont osé révéler cette homosexualité, combien sont ceux qui ont pu le faire sans peur d’être jugé par la suite ? Combien ont préféré attendre leur retraite sportive pour faire cette « annonce » afin de ne pas déplaire aux sponsors ou aux supporters ?

Dans Faut qu’on parle, six champions (3 hommes et 3 femmes) encore en activité ont choisi de briser pour la première fois ce tabou.

Dialogue avec Arnaud Bonnin et Lyes Houhou, les réalisateurs du documentaire

Si vous regardez régulièrement les émissions sportives de Canal+, leur nom vous dit forcément quelque chose. Arnaud Bonnin est à la tête de l’émission Sport Reporter, dans laquelle les reporters de Canal+ sillonnent le monde pour rencontrer des champions de divers horizons, des rugbymen de Bayonne aux pilotes automobiles français de demain, en passant par des catcheurs mexicains ou des escrimeurs japonais.

Avec un tel patronyme, Lyes Houhou pouvait laisser parler son imagination, et c’est bien ce qu’il fait dans sa pastille hebdomadaire Houhou est-il ? En 2 minutes (et surtout avec plein d’humour), il se frotte là encore à de multiples sportifs : le marcheur Yohann Diniz « qui roule du cul », les lutteurs « moches » de l’équipe de France (une pensée pour Zelimkhan Khadjiev, Maxime Fiquet, Ilman Mukhtarov et leurs potes costauds) ou encore la skieuse Perrine Laffont et ses « serviteurs ».

Pour cette fois, les deux journalistes de Canal+ ont uni leurs forces pour réaliser Faut qu’on parle, un documentaire qui promet déjà de briser certains tabous, quelques mois après Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, le doc édifiant de leur consoeur Marie Portolano. Après le sexisme et le harcèlement dont sont victimes les femmes de la profession, Arnaud Bonnin et Lyes Houhou s’attaquent donc à l’homosexualité.

Six champion.ne.s dévoilent leur homosexualité dans le documentaire Faut qu'on parle sur C+

Masculin.com : Bonjour Lyes et Arnaud. Pouvez-vous nous parler de la génèse de ce documentaire ? Quand avez-vous commencé à travailler dessus ?

Lyes Houhou : C’était une idée d’Arnaud, ce documentaire, il y a 3-4 ans déjà. En fait, c’était après son premier documentaire, Homos le Dernier Tabou, pour lequel il avait reçu un Micro d’Or. Mais il n’arrivait pas forcément à convaincre les sportifs…

Arnaud Bonnin : Oui, j’avais essayé de les approcher à cette époque, certains qui sont dans le documentaire d’aujourd’hui, ils avaient dit non et j’ai un peu abandonné. Et puis, quand Guillaume Cizeron est « sorti », on s’est dit qu’il fallait le relancer et Lyes, qui est bien plus convaincant que moi, les a recontactés. Les 3 années écoulées ont fait que les mentalités ont évolué un peu. Pour certains, ils sont plus loin dans leur carrière, donc il y avait moins de « risques ».

Mais c’était une volonté de votre part d’interroger des sportifs en activité et pas des retraités ?

LH : C’était déterminant pour nous, parce que c’est toujours plus fort d’avoir des sportifs en activité pour ce rôle, entre guillemets, de « modèle ». A part Guillaume Cizeron, justement, il n’y en a quasiment pas…

En effet, j’ai cherché, et je n’en ai pas trouvé ! Ian Thorpe, c’était à la fin de sa carrière, par exemple. Amélie Mauresmo, non, par contre.

LH : Oui, c’était pendant sa carrière, Amélie. Mais elle en a pris plein la tête et elle a regretté. Ce n’était pas la même époque…

AB : Je pense que ça en a découragé plus d’un de faire son coming-out malheureusement…

Comment êtes-vous entrés en contact avec ces sportifs ? J’imagine que vous n’avez pas passé une annonce sur Grindr, « cherche sportif gay prêt à faire son coming-out » !

AB : Quand tu vas sur le terrain, quand tu tournes des reportages, que tu rencontres des gens dans les fédérations, tu as toujours des rumeurs qui existent. On est donc parti de ces bruits pour creuser un peu, pour se rapprocher du sportif, de la sportive pour voir ce qu’il y avait derrière cette rumeur, parler avec la personne directement, en expliquant notre démarche… On a essayé de les mettre hyper à l’aise sur le fait qu’on venait pas pour un buzz, un truc voyeuriste.

Après, on les a rencontrés, notamment Lyes qui a passé du temps avec eux pour leur expliquer le concept en face-à-face, qu’ils aient le temps de réfléchir et qu’ils nous donnent leur accord.

Vous avez expliqué à ces sportifs qu’ils seraient plusieurs à parler dans le doc ?

LH : Ca a été déterminant, c’est pourquoi ils ont accepté de participer. Le collectif a vraiment fait la différence. Ils ne voulaient pas prendre la lumière, être exposés seul ou même à deux. A chaque fois, on leur disait « bon, ben vous n’êtes plus 2, vous êtes 3 ; ah ben en fait, vous êtes 4… puis finalement 6 ! » Et alors, ils nous disaient « ben super, du coup, on s’arrête pas, on continue !« 

Et il y en a qui ont refusé ou qui ont demandé à témoigner anonymement ?

AB : Personne n’a demandé à rester anonyme, mais on a eu deux refus. Deux femmes qui ont réfléchi, qui pensaient dire oui et qui ont finalement dit non. Mais c’était plus par rapport à la famille et à leurs proches qu’au milieu du sport. Ce sont des sportives qui sont déjà « outées » dans leur club ou dans leur discipline, où ça se sait ; par contre, les familles ne sont pas forcément trop au courant ou ne le prennent pas très bien, donc voilà, elles ont préféré ne pas le faire.

« Ces sportifs ne font pas du tout un coming-out. D’ailleurs, tous détestent ce mot »

Arnaud Bonnin

Mais donc, les noms des 6 sportifs ne seront révélés que lors de la diffusion ?

AB : Oui, oui, les téléspectateurs apprendront les six noms en même temps. Personne ne voulait que le nom ne sorte avant parce qu’on savait très bien que si ça se faisait, ça aurait donné « Machin.e fait son coming-out« .

Eux, ils veulent que ça se dise dans le cadre du film, parce que, même si c’en est un (de coming-out, ndlr), c’est surtout un message positif, un témoignage, une histoire.

Je parlais de Grindr, tout à l’heure (site de rencontre dédié aux homos et bisexuels), qui va justement devenir sponsor du Biarritz Olympique en rugby. C’est une preuve que les choses sont en train de changer ou c’est un simple coup de com’ ?

AB : Au BO, ils veulent vraiment changer les choses et d’ailleurs, de façon plus générale, la ligue de rugby est hyper en avance là-dessus. C’est aussi pour ça que c’était important d’avoir un rugbyman dans notre documentaire. C’est un sport collectif, un « sport de garçon » : on va au bout du tabou. Mais il faut reconnaître que le rugby fait vraiment beaucoup pour que les choses changent.

Plus que le foot, par exemple ?

LH : Oui, ça, ce sera pour l’épisode 2 (rires) !

AB : Pour le coup, j’avais des contacts de footeux au moment où j’avais tourné mon premier documentaire. Mais ce sont des personnes qui ne sont plus en activité aujourd’hui. Mais, ce qui est fou, c’est que même en termes de rumeur dans le monde du foot, il n’y en a plus tellement, en fait ! On n’entend pas de noms qui sortent genre « lui, il est homo« .

J’ai contacté beaucoup de dirigeants et d’entraîneurs pour demander s’ils entendaient des bruits de couloir, des gens qui se posaient des questions, même officieusement, mais non, rien.

LH : Enfin, là, on parle du football professionnel. Parce que, sinon, on a l’exemple de Ouissem Belgacem : ce qu’il a fait, c’est super, c’est hyper-courageux, hyper-fort, mais ça n’a pas le même impact qu’un professionnel en activité.

AB : Je pense que le foot, c’est le dernier bastion, et le « supporterisme » joue encore beaucoup.

Oui, quand on voit certains commentaires sur les réseaux sociaux, notamment, ça ne doit pas les inciter à parler…

LH : Les athlètes qui sont dans le doc nous l’ont dit. Ils ont cette crainte, ce petit stress de voir les réactions et commentaires des supporters. Et pour un footballeur, ce serait x1000.

Pensez-vous qu’il est plus dur de parler de son homosexualité quand on est un jeune en formation ou un sportif déjà connu qui pourrait risquer de « décevoir » ses sponsors et supporters, justement ?

AB : Je pense que les champions et championnes présents dans le doc sont tellement établis (ils ont beaucoup de fans, de soutiens) que ça ne va pas tanguer pour eux.

Mais pour les jeunes en centres de formation, qui sont en début de carrière, c’est différent. Il y a une championne qui le dit, d’ailleurs : elle en a vu plusieurs qui ont préféré tout abandonner plutôt que de devoir affronter ce milieu et ces regards en étant homos.

Globalement, les 6 champions témoignent pour libérer la parole. Eux n’en avaient pas besoin du tout, parce qu’ils sont bien dans leur sport. Ils ont un petit risque, mais très limité par rapport au message qu’ils portent et qui peut changer pas mal de choses.

« Ces champions le font aussi pour les jeunes, pour qu’il n’y en ait plus qui arrêtent le sport de haut niveau parce qu’ils sont homos. Et pour qu’il n’y ait pas de jeunes qui s’isolent ou qui se foutent en l’air juste parce qu’ils sont homos. »

Un mot sur la chanson du générique de votre documentaire pour finir. Elle est signée Eddy de Pretto.

LH : On est trop content ! Lui qui est un artiste engagé, qui a fait son coming-out dans le milieu du rap, on s’est dit que ce serait une belle chose qu’il réalise le générique de début et de fin. On lui a envoyé un message sur Instagram pour lui faire part de notre projet et il s’est tout de suite montré très intéressé par le projet. Il a accepté de chanter pour la première fois sa chanson Normal en piano-voix.

AB : Ce qui était aussi important pour nous, c’est que ce soit beau en termes de mise en scène. On voulait qu’il y ait un lien avec le doc, donc on a voulu faire un pont entre sa musique et le sport, et on l’a mis au milieu de La Défense Arena, où joue le Racing 92. Le symbole, c’était de dire que lui qui a un temps d’avance sur les sportifs, qui a déjà parlé de son homosexualité dans un milieu où ce n’est pas simple, il peut aussi soutenir avec sa musique les sportifs qui voudraient faire la même chose.

« Faut qu’on parle », un documentaire d’Arnaud Bonnin et Lyes Houhou
Diffusion le 19 juin 2021 à 23h sur Canal+ (et en replay sur MyCanal)

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Les six sportifs qui ont participé au documentaire sont la basketteuse Céline Dumerc, l’escrimeuse Astrid Guyart, la judokate Amandine Buchard, le patineur artistique Kevin Aymoz, le nageur Jérémy Stravius et le rugbyman Jérémy Clamy-Edroux

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