Le service militaire vu par une mioche de 1998

Le service militaire vu par les jeunes

Issue de la cuvée 1998, je n’ai pu qu’entendre parler du service militaire ; de son abrogation comme de son renouveau. Ma génération s’imagine le service en s’appuyant sur les clichés dont les blockbusters l’alimentent au cinéma, illusion couplée aux ouï-dire parfois romancés de nos grands-parents.

En ce qui me concerne…

… je n’ai jamais eu l’occasion de parler su service militaire avec mon grand-père : à l’époque ministre de la Justice en Afrique de l’Ouest, c’est plutôt lui qui envoyait ses citoyens à la formation. 

Ce que mon père m’en a dit…

Moi, je suis née (en 1998, donc) et ai grandi en France. Mon père, lui, a fait ses études supérieures sur le territoire français et en 1981, il servait auprès de sa seconde patrie. Il y en eut des anecdotes ! Il arrivait que, lorsque mes frères et moi étions petits, nous nous asseyions à ses pieds et non contents d’un chocolat chaud, nous buvions ses paroles. Ainsi, nous pouvions imaginer ce brave bonhomme porter sur son dos de bourgeois, sous la pluie, des sacs de 10 à 15 kilos : la marche-course, comme on l’appelle, est une des anecdotes qui m’aura le plus marquée.

Dans ces moments-là, je me voyais à sa place. Je voyais mon petit corps frêle de 6 ans d’âge, lesté de poids qui feraient le triple du mien et mes chaussures grinceraient telle une plainte contre l’atmosphère humide.  

Lors de ces récits, mon père était parfois pris par l’émotion : les raisons pouvaient être diverses. En repensant à ses camarades, entre ceux qui le détestaient pour la couleur qu’il avait et ceux qui l’encourageaient à toujours se dépasser, et à ne pas céder au désarroi. En se souvenant les fous rires qu’ont pu lui provoquer certaines de ses péripéties. En revenant sur ses heures passées à écouter son groupe fétiche de l’époque, the Dire Straits, dont le succès commençait dès 1978.

Alors, lorsque leur album Making Movies est paru deux ans après, le walkman de mon père s’est fusionné au disque. Romeo and Juliet, Love over Gold, Sultans of Swing… l’une des bases de notre éducation musicale (qui prend une grande place dans notre culture) a pris ses racines lors de son service, par les écoutes et le partage entre camarades. 

…et ce que j’en sais

S’il a été ré-introduit en 2002 sur la base du volontariat, le service militaire fut d’abord une obligation instaurée en septembre 1798. Notre vieil ami Wikipédia définit cette dernière comme étant « l’ensemble des responsabilités militaires légales dictées aux citoyens pour participer à la défense éventuelle du pays par les armes ». Plus précisément, « il s’agit de la durée passée sous les drapeaux permettant au citoyen français d’assimiler une instruction militaire qui doit assurer à la nation d’avoir une force militaire ».

En 1996 pourtant, l’ancien Président Chirac décide qu’il suffit. Désormais, les armées seront professionnalisées et le service national obligatoire se verra remplacé par la « Journée Défense et Citoyenneté » communément appelée journée d’appel par la génération Y : l’obligation est donc ajournée. Pour ce service obligatoire, à l’époque, sont concernés tous les hommes français âgés de 20 à 25 ans. La tendance évoluera sous Chirac et permettra l’ouverture d’un engagement volontaire pour une durée d’une à cinq années, et ouvert à tous les Français d’entre 18 et 26 ans.

Portrait d’un jeune soldat en 1970
Portrait d'un jeune soldat en 1970

Mais que serait un peuple sans ses traditions ?

Puisque la notion demeurait toujours un peu floue, je me suis intéressée aux héritiers du service national. Par exemple, le 1er juillet 2015, le SMV débarque (pour Service Militaire Volontaire) sur les plages françaises et 3 ans plus tard… l’annonce de la naissance de son jumeau dizygote SNU (pour Service National Universel) est faite par monsieur le Premier Ministre. JDC, SNU, SMV… j’en perdrais presque mon latin. Pourtant, il s’agit bel et bien de différents types de services :

  • Le Service Militaire Volontaire permet aux jeunes de 18 à 25 ans sans emploi et exclus du marché du travail d’apprendre un métier ou d’acquérir une expérience professionnelle (aucun diplôme n’est exigé pour entrer dans le dispositif.) Il existe également un service militaire adapté (SMA) qui est un dispositif d’insertion professionnelle réservé aux jeunes des Outre-mer sans emploi.
  • Le Service National Universel est quant à lui un programme mis en place pour succéder indirectement au service militaire. Issu d’une des nombreuses promesses de campagne proférées par Emmanuel Macron lors de l’élection de 2017, il l’estime comme « un moment de cohésion visant à recréer le socle d’un creuset républicain et transmettre le goût de l’engagement », une occasion d’« impliquer la jeunesse française dans la vie de la Nation » et de « promouvoir la notion d’engagement et favoriser un sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes ». Sans le charabia de politicien, monsieur le Président cherche à fédérer : ça n’a effectivement plus grand-chose à voir avec la volonté initiale du SMN (pour Service Militaire National) qui était celle de renforcer ses forces armées.
  • La JDC pour Journée Défense et Citoyenneté est la journée d’information sur les institutions françaises, les droits et les devoirs du citoyen. Elle fait suite au recensement citoyen (parfois appelé par erreur recensement militaire) des jeunes Français. La légende raconte même que tous les repas y sont les mêmes : poulets frites pour tout le monde.

Pour être franche, je ne me rappelle que du repas.

Quand les influenceurs s’en mêlent…

Pour que la cible visée y voit plus clair (aka ma génération) le gouvernement d’Edouard Philippe s’est lancé dans un pari risqué. Les 13 et 14 juillet 2019, la twittosphère s’est souvenu de la tentative de campagne financée par Matignon : des influenceurs connus (Tibo inShape, SundyJules) comme des moins connus (Enzo, Tais-toi) ont été chargés par le gouvernement d’assurer la promotion du clip de lancement du SNU.

Usant d’un enthousiasme que l’on sait factice lorsqu’on connaît un minimum leur principaux centres d’intérêts et d’échange, la manœuvre amorcée par Jules et Enzo n’a vraiment pas séduit leurs abonnés et les internautes.

Dans les stories qu’ils ont publiées, ces deux influenceurs n’hésitent pas à pousser le vice loin, par l’usage de mots bien trop grandiloquents pour une simple vidéo de lancement promue par le gouvernement. Rapidement, les gens se sont demandé où était passée leur bonne foi : sont-ils réellement convaincus par leurs propos ou sont-ils alléchés par la belle somme d’un potentiel partenariat ? Lorsque Gabriel Attal, qui était à cette époque chargé du développement du projet, a été questionné sur le sujet, la réponse ne nous a guère éclairés.

Pourtant, la story Instagram n’a duré que 24h. Ayant étudié en communication stratégique, je me suis demandé si mes camarades et amis s’en souvenaient et pardi ! ils s’en souvenaient. J’ai retenu deux de leurs témoignages :

« En soit, ce n’est pas le format ou la durée de la campagne qui posent problème ; c’est la démarche en elle-même. Si je me souviens bien, le public type de ces deux influenceurs est relativement jeune et ne comprend pas toujours les enjeux qu’englobe la notion d’influence. Tu vois, dans la vidéo, Enzo dit qu’il est temps de rendre à la France le bien qu’elle nous a fait, qu’il est temps d’incarner les valeurs de la République telles que le SNU l’entend. Et ça pour moi, c’est presque cracher sur la France en oubliant son histoire, la reconnaissance des droits de certaines tranches de la population, la multiplicité de la notion de valeurs de la République, comme s’il n’y avait qu’un type de valeurs. Je pense que le débat devrait s’axer autour de l’échange plutôt que sur une semi-injonction. La beauté de la France passe aussi par cette multitude de valeurs républicaines. »

Charles, 26 ans

« Le gouvernement n’a de cesse de mal s’y prendre avec les jeunes… Je pense qu’ils devraient (les politiciens ou leurs sous-fifres) orienter leur débat sur la bienveillance et l’échange. Utiliser un influenceur pour promouvoir un programme, ça fait bizarre. »

Alina, 22 ans

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Entre 1997 et 2022, un litrage considérable d’eau a coulé sous les ponts. Originellement de nature révolutionnaire, cette nouvelle génération dont je fais fièrement partie n’hésite plus à montrer du doigt les procédés qui la dérangent. Si nous faisions le choix de marcher ensemble main dans la main, Paris serait en bouteille et que le monde serait beau !

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