Alexandra Carlin : « On ne crée pas un parfum pour qu’il soit à la mode »

Alexandra Carlin, parfumeur chez Symrise

Comment crée-t-on un parfum ? Où les parfumeurs puisent-ils leur inspiration ? Quels ingrédients privilégier ? Voici le genre de questions auxquelles a répondu Alexandra Carlin, parfumeur chez Symrise, alors que sort sa nouvelle création Velvet Tonka pour BDK Paris.

Représentation du parfum Velvet Tonka de la maison bdk Paris

Qui est Alexandra Carlin ?

Ce n’est pas faire injure à Alexandra Carlin de dire que son nom ne parle pas au grand public. Car dans le domaine de la parfumerie, celui où elle excelle, elle fait figure de référence. Depuis une dizaine d’années, elle oeuvre chez Symrise, l’une des plus grandes entreprises mondiales de production et de création de parfums et d’arômes.

Dans notre vie quotidienne, il est essentiel de disposer des accessoires les plus adaptés à nos besoins et envies. Et cela vaut également pour la salle de bain ! Dans cet article, nous vous proposons...Lire la suite

C’est au sein de cette société qu’elle participe au développement des nouveaux ingrédients qui composeront les parfums de demain. Rien ne la prédestinait pourtant à cette carrière auparavant. Titulaire d’un Bac Littéraire, cette Parisienne de naissance semblait se diriger vers des études à la Sorbonne et une vie professionnelle dans le monde du journalisme. Jusqu’au jour où, à 18 ans, elle a entendu des parfumeurs parler avec passion de leur métier : une révélation.

Elle se réoriente alors et se lance dans un Deug de chimie, avant d’intégrer l’ISIPCA, l’Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique, à Versailles. C’est là qu’elle obtient son diplôme de parfumeur en 2011.

Dix ans plus tard, elle est une experte connue et reconnue, à qui l’on doit de nombreuses fragrances. Elle a notamment participé à la conception de Run Wild de Davidoff, Private Club for Men de Mauboussin, Bianco di Carrara de Salvatore Ferragamo ou encore Matcha Meditation de Maison Margiela.

Inspiration, création… Vous allez tout savoir sur la génèse d’un parfum comme Velvet Tonka

Juste avant le début de l’été 2021, c’est à un autre créateur que nous aimons beaucoup chez Masculin qu’Alexandra Carlin a apporté son savoir-faire, David Benedek. Le fruit de cette collaboration ? Velvet Tonka, une fragrance qui vient enrichir la collection Matières de BDK Paris.

Masculin.com : Bonjour Alexandra. Pouvez-vous nous dire comment s’est passée votre rencontre avec David Benedek ?

Alexandra Carlin : En fait, c’est amusant, parce qu’on a le même attaché de presse, pour BDK et Symrise (Cédric Chamoulaud, ndlr). Cédric porte l’un de mes parfums et David avait été charmé par ce parfum, en lui demandant « qu’est-ce que tu portes ? »

De mon côté, j’avais déjà vu les parfums BDK, je trouve que c’est une très jolie marque. J’aime beaucoup les odeurs, bien sûr, mais aussi le visuel et le packaging, que je trouve créatif et beau. J’ai rencontré David fin 2019, on a déjeuné ensemble et finalement, ça a duré 2 heures, on a bien accroché !

Après cette rencontre, comment s’est déroulé le processus de création pour Velvet Tonka ? Avez-vous dû travailler un ingrédient en particulier ? David voulait-il plutôt partir sur une émotion ou une histoire à raconter ?

Pendant ce premier déjeuner, on a beaucoup parlé de nos vies respectives et de nos parcours. David m’a notamment dit qu’il aimerait parler de ses origines marocaines dans un prochain parfum, mais sans en dire davantage.

Quand on a décidé de travailler ensemble, il n’a pas cherché à m’orienter vers telle ou telle odeur, il m’a laissé beaucoup de liberté. Il m’a simplement donné un thème et j’ai eu le culot de proposer plusieurs idées, dont un accord direct « corne de gazelle ». Quand je le lui ai fait découvrir, je crois que ça a fait comme dans le film Ratatouille, quand le critique goûte un plat et voit toute sa vie défiler dans son imagination. Là, David a senti le parfum et a eu un flash, avec des images du Maroc et tout ça…

Dit comme ça, ça semble surprenant, « l’accord corne de gazelle ». Mais en même temps, ça sonne typiquement marocain !

A la base, la corne de gazelle, c’est quelque chose de très amandé, de poudré, avec du sucre glace. J’aurais donc pu simplement partir sur de l’amande. Mais, je ne voulais pas du côté amande verte ou colle Cleopatra ; au vu de la collection Matières existante chez David, j’ai plutôt voulu travailler sur la tonka.

L’idée était de trouver une odeur plus subtile, d’essayer de marier cet accord vanillé-poudré avec de l’absolu tonka en overdose. La tonka a aussi un côté un peu foin, un peu boisé que je voulais que l’on retrouve dans le parfum.

Et puis, je voulais aussi quelque chose de complexe et addictif. C’est pour ça que j’ai ajouté du bois d’amyris des Antilles, qui a des notes santalées et vanillées, ainsi que de l’absolu tabac, plus « miellé » que la tonka. Et le miel, en plus, on le retrouve aussi dans l’imaginaire de la corne de gazelle, tout comme la fleur d’oranger, qui fait aussi partie de la recette !

Velvet Tonka, le nouveau parfum BDK Paris par Alexandra Carlin

Y a-t-il un ingrédient plus compliqué à travailler ou que vous n’aimez pas utiliser ? Et, à l’inverse, est-ce que vous avez un ingrédient fétiche ?

En fait, il n’y a rien que je n’aime pas travailler, au contraire, j’aime explorer, expérimenter… Au sein de Symrise, c’est précisément ce qu’on essaie de faire : trouver de nouveaux ingrédients.

Récemment, on a parlé de l’utilisation du légume, par exemple. Mais justement, c’est quelque chose de nouveau, il faut trouver le bon dosage, le juste ton. Et puis ensuite, il faut voir dans quel schéma on pourra l’utiliser, dans quelle histoire tel ingrédient pourra être le plus efficace.

C’est pour cela que ma palette évolue continuellement, j’aime utiliser les nouveautés. Je pense qu’il est important de prouver et se prouver à soi-même qu’il y a un intérêt à utiliser un ingrédient précis dans un parfum. Il y a des matières premières qui semblent intéressantes de prime abord et qui, en fait, n’ont aucune efficacité. Il ne faut surtout pas s’arrêter à l’argument marketing. Parce que c’est la nature qui est tendance en ce moment, il faudrait mettre du vert dans le parfum. Non, ça ne fonctionne pas comme ça. Il faut que ça ait du sens d’intégrer tel ou tel ingrédient dans un parfum !

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Il faut comprendre que nous, les parfumeurs, on est dans un bureau, devant un ordinateur, on rentre la recette qu’on imagine avec des ingrédients et la quantité… et ensuite, on voit ! On sent et on modifie : il y a eu un an de travail nécessaire pour développer Velvet Tonka.

En fait, c’est toujours un équilibre à trouver entre deux notes, entre le trop sucré et/ou le trop boisé par exemple ?

Oui, il faut être un équilibriste pour créer un parfum ! On passe notre temps à ajouter / enlever pour trouver ce juste équilibre. C’est pour ça que c’est de ne pas être seul, d’avoir d’autres avis ; sinon, on est toujours tenté d’en rajouter, d’en enlever. On a toujours l’impression que ce n’est jamais parfait alors qu’en fait non, à un moment, l’idée est là, l’addiction est là, le parfum est là, le sillage…

C’est aussi ça que j’ai apprécié dans le travail avec David, les échanges qu’on a eus tout au long de la création.

Et c’est pareil pour tous vos parfums créés ? Par exemple pour le dernier Matcha Meditation ?

Oui, un peu. Pour la collection Replica de Margiela, le but est de répliquer des moments de vie, donc ici, un moment zen, de relaxation. Le matcha me semblait parfait pour retranscrire ça.

Là, je voulais travailler un accord matcha / chocolat blanc. Contrairement au thé vert qui sent l’algue, le matcha a un côté plus crémeux du fait de sa préparation. Il dégage à la fois de l’amertume et de l’onctuosité. Et à mon sens, avec le matcha, je trouve qu’on a toujours l’impression d’être connecté à la nature. D’ailleurs, j’en bois souvent à la fin de mes séances de yoga !

Et puisqu’il fallait trouver un équilibre, j’ai voulu contrebalancer ce côté naturel avec le chocolat blanc. On retrouve aussi de la fleur d’oranger, comme dans Velvet Tonka, parce que c’est un ingrédient universel, lié à l’enfance dans beaucoup de cultures. Comme beaucoup de fleurs, elle est connue pour être apaisante, donc je trouve que ça collait bien pour un parfum comme Matcha Meditation.

Matcha Meditation de Maison Margiela

Quelles sont les qualités d’un bon parfumeur / une bonne parfumeuse ?

Il faut déjà savoir qu’il y a plein de gens qui sentent très bien. A ce sujet, mon fils m’étonne tous les matins par exemple ! Après, il faut savoir orchestrer des odeurs les unes avec les autres pour raconter des histoires.

Nez, c’est un métier plus artistique que technique à mon sens ; il y a beaucoup d’intuition, il faut de la créativité. Et puis, il faut être conscient que l’on fait des biens de consommation. Je veux dire par là que je ne crée pas des parfums pour moi, mais pour qu’ils soient portés, qu’ils plaisent aux autres.

On peut aussi être timide, mais quand on reçoit un projet, on ne peut pas avoir peur de la page blanche. Au contraire, j’adore cette idée de la feuille blanche sur laquelle il y a tout à faire pour créer un parfum. C’est pour ça que je dis souvent aux jeunes que toutes les occasions que l’on a de créer, il faut les prendre. Il ne faut pas hésiter à se lancer, demander l’avis des autres. Même si un parfum, c’est subjectif, il faut vraiment partager.

Et puis c’est vrai qu’il faut aimer se dévoiler, mais comme pour toute création en général. Il y aura toujours des gens pour dire que ce n’est pas possible, qu’on n’y arrivera pas, mais il ne faut pas s’arrêter à ça.

On est peu de parfumeurs à faire ce métier. Quand je me suis lancée, après un bac L, j’ai dû faire un Deug de chimie, et pourtant, je ne suis pas du tout scientifique. Mais avec beaucoup de rêverie et de travail, je l’ai fait ! Si j’avais arrêté à chaque fois que je me suis entendue dire « ce n’est pas possible », je ne serais jamais arrivée jusque-là. Quelque part, il faut donc provoquer sa chance.

On parlait tout à l’heure de l’utilisation de légumes en parfumerie ou de nouveaux ingrédients. Comment voyez-vous le futur de la parfumerie ? Comment faire en sorte de se renouveler pour que tous les parfums ne se ressemblent pas ?

Ah oui, les légumes… Le poireau a un côté salé ou marin, j’ai envie de l’utiliser dans des notes iodées, salées. Je l’imagine bien avec du sésame, par exemple. De toute façon, il faut essayer. Des fois, ça marche, des fois, ça ne marche pas !

Dans ces nouveaux ingrédients, l’oignon, c’est quelque chose d’incroyable ! Il y a un côté soufré, comme dans tous les fruits exotiques. L’extrait naturel d’oignon donne un côté naturel juteux à des notes plus fruitées. En fait, à chaque fois, on cherche une espèce de sophistication naturelle.

Et puis, des fois, un parfum peut aussi être plus sucré. Si le sucre a sa place dans l’histoire que j’ai envie de raconter, c’est très bien ! La gourmandise peut tout à fait être traitée dans la parfumerie de niche. Celle-ci ne doit pas être austère, sinon, c’est chiant ! C’est pour ça que Velvet Tonka a clairement un côté gourmand et gustatif, on a envie d’y retourner. Il y a une vraie addiction, mais une « tension boisée » dans le même temps.

Quel est le parfum dont vous êtes la plus fière aujourd’hui ?

Vous n’allez pas aimer ma réponse, mais je n’en ai pas vraiment. Déjà, je tiens à dire que je travaille pour une marque de niche ou pour la grande distribution de la même manière. Il y a un point de départ, un projet qui me donne envie de créer ; ensuite, les parfums que je préfère, ce sont ceux où j’ai eu le plus d’affinités avec les évaluateurs et les personnes en face chez la marque. Quand c’est un échange, un ping-pong, c’est là que les parfums sont les plus réussis.

Alors, si on ne parle pas des vôtres, quel est le « parfum ultime » chez les autres, celui que vous auriez aimer créer ?

Justement, ce n’est pas un parfum de niche, quoiqu’il l’était sans doute, à l’époque. C’est Fahrenheit, de Dior. Ce parfum me fascine, je le trouve très créatif, bien plus créatif que certains parfumeurs de niche. Il y a une espèce d’ambiguïté, il est puissant et en même temps fleuri, on a une overdose de violette, mais vous avez aussi ce cuir…

Et puis, je pourrais citer Dior Homme aussi. Vous voyez, c’est une eau de toilette grand public, c’est Dior, mais à un moment, ils ont su oser.

Fahrenheit de Dior, le parfum ultime selon Alexandra Carlin
Fahrenheit de Dior, le parfum ultime selon Alexandra Carlin

Quel(s) parfum(s) recommanderiez-vous à un homme, que ce soit pour affirmer son caractère, plaire à une femme ou peut-être en fonction de son âge ?

Là non plus, vous n’allez pas aimer ma réponse, mais je n’ai pas de parfum à conseiller. En fait, l’important, c’est qu’il se sente bien lui, celui qui le porte. En Europe, et peut-être encore plus en France, on est dans une culture où le parfum fait partie de sa personnalité. D’ailleurs, on dit qu’on se SENT bien, ou même on dit de quelqu’un qu’on ne peut pas le SENTIR.

En général, je crois aussi qu’on est très fidèle à son parfum, ça fait presque partie de son code vestimentaire. D’ailleurs, on l’a vu : même les gens qui étaient en télétravail ont continué à se parfumer, pour ceux qui en avaient l’habitude.

Et puis, quand une histoire amoureuse se termine, on change aussi souvent de parfum, on veut passer à autre chose. Donc vous voyez, c’est quelque chose de très personnel. Moi, par exemple, Dior Homme m’émeut à chaque fois que je le sens, pourtant, je ne le porte pas. Je porte Aqua Universalis Francis Kurkdjian, parce qu’il me parle.

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On peut aussi être éclectique sur le parfum, selon son humeur, ses goûts donc, non, vraiment, je ne saurais pas en conseiller un plutôt qu’un autre !

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